Reims / Campus Moulin de la Housse

Shamaï Haber (Pologne, 1922 – France, 1995)
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Installation de l'oeuvre en 1970 - Un témoignage et des photographies d'époque par Bernard Müller, alors chef des services centraux.

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Audioguide

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Granite de Bretagne.
35 blocs de hauteurs différentes (de 20 cm à 2 m) répartis sur un carré engazonné de 67 m de côté. Gravillons au pied des blocs.
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Les granits de Shamaï Haber sont disposés dans l’espace sur lequel ouvre la Rotonde des Amphis du Campus Sciences, œuvre architecturale construite en 1964 par Henri Beauclair et Marcel Lods.

Il s’agit d’une œuvre in situ, c’est à dire une composition réalisée pour le site qui l’accueille, et qui se construit à partir des caractéristiques formelles, fonctionnelles ou même sociologiques, du lieu dans lequel elle est placée, en déclinant des relations d’opposition ou d’adéquation avec lui.

L’adéquation avec le bâtiment tient à son organisation horizontale. De même que l’édifice architectural (et tout le campus d’ailleurs) prend le parti de ne pas s’élever, l’éparpillement des 35 granits s’étale, prenant acte d’un très fort ancrage au sol.

Toutes les autres relations qu’entretient cette sculpture avec l’architecture sont en revanche de l’ordre de l’opposition. Une opposition complémentaire cependant, qui postule que tout ce que l’une est (ou a) correspond à ce que l’autre n’est (ou n’a) pas.

L’architecte, en effet, a construit ici un édifice circulaire avec une organisation rayonnante des amphithéâtres qui doit tout à une haute et savante technologie du métal et du béton, ainsi qu’à la rationalité scientifique moderne pour laquelle tout est mesure, calcul et exactitude.

A l’opposé total de ces considérations, les formes et les matières de Shamaï Haber sont archaïques, naturelles et sensibles. Si ces blocs de granite gardent la trace des tubes creusés à la barre à mine pour y placer l’explosif très industriel qui les a séparés de la montagne, ce n’est que pour mieux exprimer le chaos de leur effondrement. Ils se présentent dans toute leur brutalité, et c’est en vain que l’on pourra chercher dans leur éparpillement une quelconque règle. L’artiste a en effet passé plusieurs journées à diriger les grues qui ont déposé les blocs – grues qu’il a alors utilisées comme n’importe quel autre outil de sculpteur – afin d’obtenir le réseau apparemment le plus chaotique possible.

Le mot « apparemment » est ici important, car en fait, un observateur attentif, qui fait l’effort de contempler longuement cette installation, pourra déceler deux éléments qui proposent très subtilement les prémices d’un certain ordre dans ce chaos, et qui fondent en fin de compte sa complémentarité avec l’architecture. Le premier est un resserrement des granits au fur et à mesure que l’on se rapproche du bâtiment d’Henri Beauclair (le long de la diagonale du carré où ils sont disposés, marquée d’ailleurs par le chemin naturel qu’empruntent les usagers du lieu). Le second est l’élément le plus volumineux, qui est formé de deux blocs superposés dont le plus grand est dressé, rappelant un menhir, avec cette position verticale propre à l’humain que les hommes du néolithique donnaient à ces lourdes pierres, pour montrer leur domination sur la matière – et par la même fonder le premier geste architectural.

Comme pour la Mosaïque en Sept Panneaux de Raoul Ubac que l’on peut admirer à l’intérieur de la Rotonde des amphis (également commentée dans cette application), l’œuvre de Shamaï Haber exprime les liaisons et les oppositions qui fondent la complémentarité entre la sculpture et l’architecture, mais par là-même entre le chaos et l’ordre, et en fin de compte entre les arts et les sciences.