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Acier peint
Tables, tables basses, chaises, bar,
chaises hautes, supports.
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Du mobilier à la sculpture, de l’objet à l’art (et retour).
A première vue, l’œuvre d’Olivier Liégent pour le site de Charleville-Mézières de l’IUT-RCC est atypique puisque, se présentant comme du mobilier, elle ne relève pas avec évidence du champ traditionnel de la loi sur le 1% artistique, qui est la sculpture et la peinture. Un texte de l’artiste (cf. version intégrale ci-après), placardé au mur de l’espace qui accueille les éléments de son œuvre, recentre clairement la réflexion : si ces objets citent avec plus ou moins d’évidence le monde désormais connu et apprécié de ce qu’on nomme aujourd’hui le « design », ce serait penser bien trop vite que de les ranger définitivement dans cette catégorie sans un examen plus attentif. Leur usage en effet (s’asseoir dessus, s’y attabler…), à la simple observation et a fortiori à l’expérience, s’avère soit simplement problématique, soit parfaitement malaisé. Or un objet dont la fonctionnalité n’est ni évidente ni efficace ne saurait, par définition, être désigné comme un objet du design.
C’est que le travail d’Olivier Liégent possède l’exigence de l’artistique : il ne se résume en aucun cas à une entreprise de production d’objets, mais se développe comme une recherche rigoureuse et intègre, celle de donner forme et matière à une idée, une pensée. Cette recherche est tout d’abord le constat de l’existence d’un espace frontalier entre plusieurs domaines traditionnellement repérés comme artistiques, la peinture, la sculpture, l’objet d’art et l’architecture, puis l’examen méticuleux de cet espace (pour mesurer notamment son étendue, vaste et largement insoupçonnée), et enfin la production, avec un enthousiasme nourri de gravité et d’humour tout à la fois, de formes légères et colorées destinées à habiter cet espace.
Le pli et la découpe comme principes primordiaux. La recherche artistique d’Olivier Liégent fonctionne depuis les années 1980 selon un principe strict et exigeant : travailler une tôle de métal « découpée, pliée, sans ajout ni retrait de matière, et peinte » .
Plier et découper (avec ou sans chute) sont parmi les gestes les plus fondateurs des arts plastiques. Découper c’est dessiner, comme Matisse le rappelle magistralement au milieu du XXe siècle avec ses gouaches découpées (dont Liégent cite également, ici, la gamme de couleurs pures). Plier c’est sculpter, car c’est le plus simple moyen de transformer un objet plat en volume, et là c’est Picasso et Braque, dès les premières sculptures cubistes des années 1910 qui sont convoqués. Ces deux procédés sont également primordiaux pour l’architecte et le designer. A ce sujet, et dans le cadre de sa recherche à distance plus ou moins égale de tous ces arts, le Mobilier d’Olivier Liégent pour l’IUT, se veut référer à divers artistes de l’art moderne et contemporain. Il cite tout d’abord avec évidence l’univers du design et son intégration à l’architecture, et on peut penser par exemple, aux objets réalisés à partir de la déformation d’une plaque en 2D sans vissage ni soudure, comme par exemple la Panton Chair de Werner Panton (1968), ou la Ribbon Chair de Pierre Paulin (1969). Dans le domaine des arts plastiques, l’usage exclusif des couleurs primaires, associées au noir, rappelle clairement les recherches du début des années 1920 à propos d’un art universel, désincarné et accessible à tous, tel que les constructivistes et suprématistes russes (Alexandre Rodchenko, Vladimir Tatline, Kasimir Malevitch), ou le groupe De Stijl, autour de Piet Mondrian et Theo Van Doesburg (ou Gerrit Rietveld pour le mobilier) l’ont théorisé et en ont organisé la production. Plus proches de nous, on peut enfin citer les recherches des minimalistes des années 1960 (Donald Judd, Sol Lewitt), ou les fentes dans les toiles (concept spatiaux) de Lucio Fontana.
L’installation comme mode de présentation. L’œuvre d’Olivier Liégent à l’IUT de Charleville se présente enfin comme une installation, terme venu des arts plastiques mais parfaitement applicable ici au mobilier, aussi bien comme constat que comme question : la disposition des meubles dans une pièce ne relève-t-elle pas du domaine de l’installation ? Elle donne sa cohérence visuelle et fonctionnelle à tout un espace, celui de la cafétéria. En cela elle s’inscrit dans la continuité et l’actualisation d’une réflexion en forme de manifeste, émise par Théo van Doesbourg en 1928 pour le décor et la scénographie d’un autre espace de convivialité, l’Aubette de Strasbourg (réalisée avec Hans Arp et Sophie Tauber) : « Placer l’homme dans la peinture plutôt que devant elle ».
Texte d’Olivier Liégent lisible au mur de l’espace qui accueille son œuvre : Les différentes pièces mobilières qui constituent cet espace sont issues pour la plupart d’une recherche artistique centrée sur le « mobilier ». Les objets ainsi conçus sont réalisés en regard d’une histoire de l’art récente et non pas vis-à-vis des paramètres propres au design, cela crée des « meubles » où la fonction est absente soit symboliquement soit matériellement. Ce ne sont plus que des souvenirs, des images en volume, d’une forme familière (table, chaise). Devenus des réceptacles d’une problématique habituellement destinée à un champ d’application bien précis : le tableau, la sculpture. Ceci provoque un questionnement vis-à-vis du spectateur étranger à ce type de réflexion. Dans le cas présent ces recherches radicales servent de base à la réalisation de pièces où la fonction est présente à 20, 50, voire 80%. Certains objets sont radicalement fonctionnels d’autres entretiennent une ambivalence entre deux statuts à la fois objet et œuvre d’art. Ils oscillent suivant le regard qu’on leur porte.