REIMS / Campus Croix-Rouge

Nathalie Talec (2015)

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Mousse polyuréthane sur armature métallique recouverte de polyester aspect porcelaine
H = 2 m env. ; L = l = 1,80 m env.
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DEPTH OF THINGS
OU COMMENT DONNER CORPS À L’INVISIBLE

Présence et absence, regard intérieur et regard extérieur, visible et invisible… métaphores de la pensée et de l’étude.

C’est sur le patio du bâtiment 18, nommé également « bâtiment mutualisé », ouvert sur le panorama de la Montagne de Reims et de ses coteaux mondialement célèbres, que l’oeuvre du 1 % artistique de Nathalie Talec est installée. Les deux têtes juvéniles qui la forment tournent cependant le dos à ce paysage, comme si elles préféraient s’intéresser à ce qui se passe à l’intérieur, et proposer leur visage sur le fond de ce décor (de cet arrière-pays) à celui qui regarde à travers la baie vitrée. Un aller-retour du regard est alors amorcé, et l’observateur est potentiellement lui-même observé par l’oeuvre. Le mot potentiellement est ici important car, de fait, aucun des deux visages ne regarde véritablement, puisque la tête du bas a les yeux fermés et que celle du haut dirige son regard vers l’horizon lointain, où il semble s’abandonner. Cette confrontation des regards ne peut donc exister que dans l’imaginaire du spectateur, dans sa capacité à en évoquer ou à en rêver la possibilité.

Cette tête de jeune fille, répétée ici deux fois 1, est devenue récurrente dans l’oeuvre de Nathalie Talec depuis une collaboration avec la Manufacture de Sèvre en 2009, où elle découvre ce buste du sculpteur néo-classique Edouard-Charles Houssin, professeur de modelage et de sculpture à la Manufacture de 1885 à 1924, représentant sa fille Adrienne. L’artiste y voit, comme elle le dit elle-même, « une sorte d’artéfact d’autoportrait ». Elle réactive alors cette création, et lui apporte un changement minime dans la forme mais majeur pour le sens et l’évocation, qui est de lui fermer les yeux. Pour le 1% de l’URCA, l’artiste propose à nouveau la tête d’Adrienne, mais la présente cette fois à l’échelle monumentale, une première fois sous une forme proche de l’original aux yeux ouverts, et une seconde fois selon son interprétation personnelle aux yeux clos.

Regard extérieur et regard intérieur, visible et invisible, sens et raison, rationalité et spiritualité… sont alors autant de contraires qui viennent à l’esprit lors de la contemplation de ces sculptures jumelles. Leur disposition dans l’espace et dans le volume du bâtiment participe de ces dualités complémentaires, les unes placées en hauteur et les autres plus proches de la terre, interrogeant le regardeur sur l’emplacement qu’il réserverait personnellement à chacune des réalités que ces mots désignent.

La profondeur (depth), premier mot du titre de l’oeuvre est enfin le terme qui vient synthétiser les diverses évocations, sens et interprétations que l’on a pu déceler ou projeter sur ce couple de sculptures. Tout comme un iceberg qui ne fait émerger qu’une infime partie de ce qu’il est (et qu’il cache dans les abîmes invisibles et froids de l’océan), c’est la profondeur imaginée de l’espace dans lequel ils sont situés qui donne leur grandeur à ces personnages, alors perçus non plus comme simplement monumentaux, mais comme définitivement colossaux. La profondeur des choses (traduction de Depth of things) peut alors aussi être envisagée de manière métaphorique, pour désigner précisément ce que se proposent de sonder, chacune à sa manière et selon ses méthodes, l’ensemble des activités de connaissance, de savoir et de recherche qui forment l’essence-même de l’université (et qui sont vouées à se croiser et coopérer dans ce bâtiment, précisément qualifié de mutualisé pour exprimer ce dessein).

1 - En cela ces deux têtes, déclinant deux situations d’un même objet sculptural, rappellent ce qu’on désigne traditionnellement du nom d’étude. Cette remarque fait entrer en résonance cette oeuvre avec la vocation-même du bâtiment, qui est l’étude, et qui est vouée à recevoir des étudiants.