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Équipement : Siège administratif de l’URCA.
Maîtres d’ouvrage :André et Marthe Douce.
Architecte : Pol Gosset (1881-1953).
architecte départemental de la Marne.
Date : 1929-1934
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VILLA DOUCE
Vers une architecture épurée de style
« paquebot » des années 1930.
Créer une villa avec un salon
de musique remarquable.
Histoire
Réalisée lors de la période
de la Reconstruction de la ville
d’après-guerre, la villa est située
le long du boulevard de la Paix,
sur lequel s’élève une part des plus
beaux hôtels particuliers rémois.
La ville, détruite à 82% suite aux dégâts
de la première Guerre mondiale, est en
pleine période de reconstruction lorsque
l’architecte rémois Pol Gosset élabore
ses premières esquisses pour son camarade
de lycée. La villa, dernier grand hôtel
particulier bâti à Reims, est destinée
à André Douce, notaire de la ville. Pendant
cette intense période de reconstruction,
6500 permis de construire sont alors
déposés entre 1920 et 1930, illustrant
l’essor du style Art Déco. Or, la villa Douce
construite de 1929 à 1932 matérialise
à Reims l’émergence du style « Paquebot »,
donnant suite à une forme plus
rationnelle et épurée de l’Art Déco.
Le bâtiment sur le boulevard est
réalisé peu de temps après, en 1934,
puis surélevé ultérieurement.
Après y avoir organisé de grandes
cérémonies familiales et des concerts
de jeunes talents, André Douce décède
en 1948. Son étude notariale est reprise
par son gendre Henri Gain. Sa famille
loge alors dans les étages supérieurs
de la demeure, transformés
en appartement autonome,
tandis que Marthe Douce habite
les étages nobles. Sa mort en 1982
est suivie par celle d’Henri Gain,
deux ans plus tard.
Dès sa mise en vente en 1984, la propriété
suscite de l’intérêt auprès de promoteurs,
désireux de construire des ensembles
de bureaux neufs en centre-ville.
Le premier adjoint à la mairie, Jean-Louis
Schneiter, futur maire de Reims de 1999
à 2008, les en dissuade devant la valeur
architecturale, historique et culturelle
de la villa. Très détériorée, elle est enfin
restaurée en 1986-87 par l’architecte
rémois Jean-Baptiste Michel pour
accueillir les bureaux de la S.O.R.E.F.I.
de Champagne-Ardenne, société
régionale de financement des Caisses
d’Epargne. Celle-ci étant supprimée
quelques années plus tard en 1992,
son directeur Paul Samuel propose
alors la protection de la maison au titre
des Monuments Historiques, craignant
la disparition de ce patrimoine
inestimable.
Devant l’harmonie des formes
architecturales et de son mobilier,
les façades et les toitures de la Villa
Douce sont inscrites à l’inventaire
supplémentaire des Monuments
Historiques le 29 juin 1992 ainsi que
des éléments intérieurs : le hall d’entrée,
la cage d’escalier avec son décor (console,
luminaires, rampe), le salon de musique
et sa cheminée. Deux ans plus tard,
la villa reçoit le siège emblématique
de la Présidence de l’Université de Reims
Champagne-Ardenne.
Un architecte rémois prodigieux
Né en 1881 dans une famille de grands
architectes rémois, Pol Gosset est le fils
d’Alphonse Gosset (1835-1914), célèbre
architecte du Grand Théâtre de Reims
en 1873, de la basilique Sainte-Clothilde
de 1898 à 1900, de la maison de champagne
Pommery en 1901, de nombreux
châteaux et écoles...
Diplômé à l’école des Beaux-Arts de Paris,
il exerce de 1906 à 1913 avec son père,
qui lui transmet son expérience.
Considérant son fils encore trop jeune
et inexpérimenté, Alphonse Gosset préfère
néanmoins léguer l’agence à son gendre
Max Sainsaulieu (architecte de la célèbre
Bibliothèque Carnegie de Reims).
Pol devient alors ingénieur au port
de Casablanca en 1914. Puis, attiré par
le chantier titanesque de la reconstruction
de Reims, il revient en 1922. Il devient
alors architecte en titre de l’entreprise
des Docks Rémois, pour laquelle il construit
à Reims et dans ses environs de nombreuses
succursales associées au logement
de leur gérant. Il réalise ainsi le fameux
Familistère inauguré en 1928 en
centre-ville, à l’angle des rues de Vesle
et Talleyrand, pour l’accueil d’expositions
temporaires, mais aussi de magnifiques
hôtels particuliers à Épernay et Paris.
A cette même date, la commande
du notaire Douce consiste à bâtir
une nouvelle demeure et une étude,
avec des « bons de réparation », obtenus
suite à l’effondrement de son hôtel
21 rue du Cloître, lors de la guerre.
Le permis de construire est signé
le 17 novembre 1928.
Histoire du projet
La Villa Douce comprend deux parties
bâties distinctes. L’une, qui reçoit l’étude
notariale s’élève sur le boulevard,
tandis que la deuxième partie, située
en retrait avec l’habitation et les espaces
de réception, s’ouvre à l’avant sur une cour
pavée et à l’arrière sur une terrasse
surélevée et un vaste jardin.
Les travaux, qui se déroulent entre 1929
et 1934, dissimulent la structure en béton
de la villa (réalisée par l’entreprise Blondet)
sous une vêture en brique dans un style
Art Déco épuré. Les premiers plans
révèlent à l’origine un édifice spacieux,
de grandes dimensions, à l’architecture
classique. Le projet évolue au fil du temps,
passant du style traditionnel des maisons
bourgeoises à une architecture plus
dépouillée, au regard du goût du propriétaire,
de la mode mais aussi des restrictions
financières. Les niches, les statues,
les balcons à balustre en pierre
et le cintrage des baies disparaissent
en façade. Le hall d’entrée s’éclaire enfin.
De même, l’intervention d’artistes se
limite désormais à celle du ferronnier
Borderel pour l’escalier central, arborant
des lignes plus sobres. Les décorations
et les staffs de facture parfaite sont
créés par Berton et Levistre, des artistes
rémois de grande renommée.
Les façades, les plans et l’aménagement
du jardin se simplifient ainsi en adoptant
les principes d’une architecture moderne,
qui oeuvre pour la lumière naturelle,
le confort (chauffage central et eau
chaude) et l’hygiène avec une salle
de bain par chambre
Architecture
Bâtie sur une base carrée, la villa
repose sur un plan très judicieux qui crée
un assemblage de volumes harmonieux,
baignés de lumière. L’ambiance y est douce
et sereine. La maison se développe
sur une surface de 2000 m² avec
seulement 16 m² agencés en couloir.
Son traitement extérieur révèle
une très grande cohérence et homogénéité
architecturales, obtenues au fil des réflexions
et de l’évolution des plans.
Bien ancrée dans le sol, la villa est établie
sur un sous-sol avec garage, comporte
un rez-de-chaussée surélevé suivi d’un étage
noble et de deux étages de combles.
Elle est coiffée par une toiture à croupe
très élancée en ardoise, dotée de pentes
inclinées ponctuées de lucarnes.
Une large corniche débordante moulurée
finalise la composition architecturale
simple, reposant sur un soubassement
continu en pierre. Toutes les élévations
principales répondent aux mêmes
principes de composition avec la travée
majeure disposée en légère saillie.
Les grandes baies rectangulaires de grande
hauteur se distinguent par la délicatesse
des menuiseries en acier. Les décors
en pierre, très sobres (pilastre, corniche,
appui de fenêtre, moulure…), contrastent
avec les motifs recherchés des gardecorps
et des portes en fer forgé,
qui en sont ainsi magnifiés.
La façade d’entrée est mise en scène
par un perron aux lignes orthogonales,
qui valorise la travée principale en saillie.
Elle est caractérisée par une large porte
ajourée en fer forgé aux lignes stylisées,
coiffée par un court et épais auvent
géométrisé en pierre. La façade sur jardin,
définie par deux travées, est couplée
à un volume plus bas semi-cylindrique
d’une grande élégance. L’étude notariale,
élevée sur un seul niveau avec un toit
terrasse accessible, présente les mêmes
qualités architecturales. Une verrière
zénithale illumine le hall central, qui
distribue l’espace. Un léger débord de toit
plat ceinture l’ensemble des façades,
traitées avec un « découpage » moderne
des pleins et des vides sur la hauteur.
Le calepinage parfait de la brique
et la texture brute des matériaux
confèrent à l’ensemble une grande
et subtile sobriété. La noblesse des
matériaux d’origine tels que l’ardoise,
le cuivre, la pierre et la brique, ainsi que
la finesse de l’acier lui assurent un certain
raffinement, mis en exergue par la rationalité
des formes.
Espaces intérieurs
Dans la lignée des édifices de style Art
Déco, les volumes géométrisés de la villa
révèlent une pureté de formes et de
détails simplifiés, qui s’associent aux
caractéristiques de « l’art paquebot », avec
ses longues courbes et ses décors
d’inspiration nautique…
La luminosité intérieure naturelle
est l’une des préoccupations majeures
de Pol Gosset, qui conçoit ses volumes
à travers des dessins en coupe, décrivant
la pénétration de la lumière à travers
les baies et les puits de lumière zénithale.
Les volumes spacieux sont reliés
entre eux par un jeu subtil de miroirs
reflétant la lumière naturelle indirecte.
Cette ambiance harmonieuse combinée
à des formes douces et fluides
crée un sentiment de confort.
L’espace intérieur de l’habitation limite
les circulations horizontales grâce
à l’intégration de deux cages d’escalier,
dispositif fonctionnel innovant pour
l’époque. Le hall d’entrée se caractérise
ainsi par le très élégant escalier suspendu
aux formes courbes, éclairé naturellement
par une verrière zénithale. Il dessert
le premier étage dédié aux appartements
des membres de la famille. Un second
escalier, de service, assure l’accès
aux cuisines, au garage, aux deux
étages nobles, reliant ainsi le sous-sol
aux combles. Un passage souterrain
très pragmatique permet également de connecter la demeure sur le parc
à l’étude notariale sur rue.
Cette demeure rémoise rappelle ainsi
les sublimes villas créées par les plus
grands architectes à travers la France,
qui illustrent les principes découverts
à l’Exposition des Arts Décoratifs de Paris
de 1925. La villa Noailles se dressant
tel un paquebot à Hyères et la villa Cavrois
construite par Mallet-Stevens à Croix,
connaissent d’ailleurs le même sort
avec des commanditaires érudits et
visionnaires dans le domaine des arts.
L’extraordinaire salon de musique
Tout comme leur ami Georges
Charbonneaux en 1906, Marthe et André
Douce, passionnés de musique, décident
de construire contre leur demeure
moderne, un écrin architectural
dédié à la musique.
Selon la légende, les plans auraient
été dessinés par l’architecte Jacques Harald
Debat-Ponsan, auteur de l’hôtel de ville
de Boulogne-Billancourt. Néanmoins
aucune archive ne l’atteste. Le salon offre
une qualité architecturale et acoustique
remarquables : la forme cintrée, le travail
sur le plafond et le traitement des murs
y participent. Le salon se caractérise
par un abat-son et une galerie ouverte
à l’étage, accessible depuis un escalier
avec un garde-corps opaque alternant
des luminaires verticaux intégrés.
L’espace est flanqué de banquettes,
d’étagères en bois avec une cheminée,
associés à un jeu de miroir et de lumière.
Cet espace de réception est magnifié
par une aire semi-circulaire s’ouvrant par
de larges baies vitrées de toute hauteur
sur le parc. Dans le plafond creusé de
la salle, un système ingénieux d’écoutilles
(tuyaux d’orgue s’ouvrant par des trappes)
permet alors d’écouter la musique
depuis la grande terrasse couvrant
cette même salle.
Le salon s’ouvre sur la nature.
De même, le jardin changeant au fil
des saisons se reflète dans les miroirs
et fait évoluer l’espace intérieur :
cette architecture aux courbes fluides
est libre, animée par la lumière.
La fabuleuse épopée de la villa
Depuis l’achèvement des travaux de la villa en 1932, la demeure vibre sous l’animation des artistes plasticiens et musiciens. André Douce, président de la Société Philharmonique de Reims en 1932, pratique la musique avec ferveur. Il organise avec sa femme des concerts et des rencontres musicales inoubliables pendant cinquante ans. Dès lors, le magnifique salon de musique aux lignes avant-gardistes et de belle acoustique devient un des hauts-lieux rémois de la vie musicale et culturelle. Des artistes de grande notoriété tels que Maurice André, Eric Heidsieck et Georges Moineau y participent alors. Depuis l’arrivée du siège de l’Université, l’activité artistique et musicale se déploie à nouveau grâce au Service Universitaire de l’Action Culturelle qui y loge théâtre, cinéma, concerts, expositions, conférences, poésie, littérature… réunissant les arts majeurs en un seul et même lieu vivant ouvert à tous. Cet héritage transdisciplinaire associant art, architecture et art de vivre à la rémoise se perpétue à travers les pratiques culturelles et artistiques actuelles de l’Université.
Texte inspiré du livre de référence « Une villa si douce, la destinée rémoise d’une maison remarquable » des éditions de l’Effervescence en collaboration avec l’URCA : Textes d’Olivier Rigaud, Jean-Baptiste Michel (architectes), Françoise Mittelette (directrice du SUAC), Etienne Maquin (famille Douce), Cécile Bolback et François-Joseph Pommet (musiciens) et Catherine Coutant, François Schmidt (éditeurs)…
Sarah Hinnrasky Charlier